L’intérêt à agir en droit de l’urbanisme : les dispositions de l’article L. 600-1-2 du code de l’urbanisme
L’intérêt à agir, dont doit justifier tout requérant qui saisit la juridiction administrative d’un recours dirigé contre une autorisation d’urbanisme, était, avant l’intervention de l’ordonnance n° 2013-638 du 18 juillet 2013, lié à la qualité de « voisin immédiat ».
La catégorie juridique du « voisin immédiat » reposait sur trois critères non cumulatifs, forgés par la jurisprudence :
- la distance séparant la propriété du requérant et le terrain d’assiette ;
- la nature et l’importance du projet ;
- la configuration des lieux (notamment, CE, 2 juin 1993, Planfetti, req. n° 130453).
Cette qualité était appréciée à la date d’introduction de la requête (CE, 6 octobre 1965, Marcy, Leb. p. 493).
L’ordonnance du 18 juillet 2013 a chamboulé ce dispositif.
D’une part, l’appréciation de l’intérêt donnant qualité à agir a été avancée à la date d’affichage en mairie de la demande du pétitionnaire (article L. 600-1-3 du code de l’urbanisme.
D’autre part, l’intérêt à agir a fait l’objet d’une subjectivisation.
Ainsi, aux termes des dispositions de l’article L. 600-1-2 du code de l’urbanisme,
« Une personne autre que l’Etat, les collectivités territoriales ou leurs groupements ou une association n’est recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager que si la construction, l’aménagement ou les travaux sont de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance du bien qu’elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d’une promesse de vente, de bail, ou d’un contrat préliminaire mentionné à l’article L. 261-15 du code de la construction et de l’habitation ».
Ces dispositions posaient un problème d’application de la loi dans le temps.
La question a été résolue – au demeurant, fort logiquement – par un avis du Conseil d’Etat du 18 juin 2014.
Le Conseil d’Etat a considéré qu’il s’agissait là de « dispositions nouvelles qui affect(aient) la substance du droit de former un recours pour excès de pouvoir contre une décision administrative » et étaient, « en l’absence de dispositions contraires expresses, applicables aux recours formés contre les décisions intervenues après leur entrée en vigueur », soit le 19 août 2013 (CE, avis, 18 juin 2013, req. n° 376113).
Trois arrêts postérieurs sont venus préciser les dispositions de l’article L. 600-1-2.
La première de ces décisions indique le mode opératoire à suivre :
- Il appartient au requérant de préciser l’atteinte qu’il invoque pour justifier d’un intérêt lui donnant qualité pour agir, en faisant état de tous éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que cette atteinte est susceptible d’affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de son bien ;
- Il appartient au défendeur, s’il entend contester l’intérêt à agir du requérant, d’apporter tous éléments de nature à établir que les atteintes alléguées sont dépourvues de réalité;
- Il appartient ensuite au juge de l’excès de pouvoir de former sa conviction sur la recevabilité de la requête au vu des éléments ainsi versés au dossier par les parties, en écartant le cas échéant les allégations qu’il jugerait insuffisamment étayées mais sans pour autant exiger de l’auteur du recours qu’il apporte la preuve du caractère certain des atteintes qu’il invoque au soutien de la recevabilité de celui-ci ().
Les deux autres arrêts introduisent une dichotomie au sein de la catégorie des requérants en opérant une distinction entre le « voisin immédiat » – notion dont on pouvait penser a priori qu’elle avait disparue – des autres requérants potentiels.
Le « voisin immédiat » bénéficie en quelque sorte d’une présomption d’intérêt à agir et n’a pas à rapporter la preuve du caractère certain des atteintes qu’il invoque :
« (…) eu égard à sa situation particulière, le voisin immédiat justifie, en principe, d’un intérêt à agir lorsqu’il fait état devant le juge, qui statue au vu de l’ensemble des pièces du dossier d’éléments relatifs à la nature, à l’importance ou à la localisation du projet de construction ; (…) » (
).Le requérant, non « voisin immédiat », doit, en revanche, établir clairement l’incidence de la construction projetée sur les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de son bien :
« 4. Considérant que les écritures et les documents produits par l’auteur du recours doivent faire apparaître clairement en quoi les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de son bien sont susceptibles d’être directement affectées par le projet litigieux ; qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, pour justifier de leur intérêt à agir, les requérants se sont bornés à se prévaloir de leur qualité de » propriétaires de biens immobiliers voisins directs à la parcelle destinée à recevoir les constructions litigieuses » ; que, par ailleurs, les pièces qu’ils ont fournies à l’appui de leur demande établissent seulement que leurs parcelles sont mitoyenne pour l’une et en co-visibilité pour l’autre du projet litigieux ; que, le plan de situation sommaire des parcelles qu’ils ont produit ne comportait que la mention : » façade sud fortement vitrée qui créera des vues » ; qu’invités par le greffe du tribunal administratif, par une lettre du 28 août 2014, à apporter les précisions nécessaires à l’appréciation de l’atteinte directe portée par le projet litigieux à leurs conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de leur bien, ils se sont bornés à produire, le 5 septembre suivant, la copie de leurs attestations de propriété ainsi que le plan de situation cadastral déjà fourni ; que, dans ces conditions, la présidente de la deuxième chambre du tribunal administratif de Marseille a procédé à une exacte qualification juridique des faits en jugeant que les requérants étaient dépourvus d’intérêt à agir contre le permis de construire litigieux ; que c’est sans commettre d’erreur de droit ni méconnaître l’article 6 paragraphe 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ni aucun principe qu’elle a rejeté leur demande comme manifestement irrecevable par ordonnance, sans audience publique, sur le fondement du 4° de l’article R. 222-1 du code de justice administrative ; (…) » (
).Étiquettes : Contentieux
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